NOUVELLE = Le pardon de mon cœur
J’avance, j’avance encore et toujours.
Jour et nuit, je poursuit ma route sans m’arrêter. Peu importe la faim, peu importe la soif. Je ne m’arrêterai pas. Pourquoi ? Je l’ignore. Je fais juste marcher, je ne réfléchis pas. Je ne suis qu’un poids mort pour mes deux jambes. Je sais simplement, tout au fond de moi, que je dois marcher, marcher encore.
Vous devez penser, mais comment peut-on vivre sans dormir, sans manger, sans boire ? C’est simple, dans mon cas il n’est plus question de vie. Je suis morte depuis si longtemps…
Si longtemps que j’ai bien dû faire cinq ou six fois le tour du monde, à l’endroit, à l’envers. Dans un sens, puis dans l’autre. A l’est, à l’ouest. En tous sens.
Et pourtant, je n’ai toujours pas trouvé ce que je veux. De toute façon, cela fait si longtemps que j’ai oublié. J’ai simplement le sentiment d’être lâche, de fuir mes responsabilités.
Je traverse une grande ville, vu l’abondance de gens. Mais cela m’est égal. Mes yeux traversent le paysage, les vies. La vie. Je ne suis plus qu’un fantôme errant, recherchant le pardon du passé.
J’ai décidé d’abandonner la vie en attendant qu’on me l’accorde à nouveau. Car je ne peux exister avec un poids sur la conscience. Je cherche le pardon. Pas celui d’un quelconque dieu, non. Je cherche ma propre paix.
Je veux pouvoir me pardonner mes actes. Car le pire dans un tel cas, c’est de ne même plus avoir confiance en soi.
Mais être lâche et fuir la vie ne mène à rien. Je ne me pardonnerais pas tant que je n’aurais pas accepté la réalité. Mais je sais bien que cela n’arrivera jamais.
Cela fait si longtemps que je marche… Mais je ne veux plus m’arrêter. Je ne mérite pas de pause. Et faire le point ferait rejaillir des sanglots lourds de peine.
Néanmoins, je me sens faiblir. Mes pas deviennent lourds, puis lents. Mes jambes peinent à supporter le poids de mon corps. Et celui de mon cœur, plus lourd encore.
Puis mes pieds refusent d’avancer. Je tiens à peine debout. Je m’écroule. Des gens se pressent autour de moi et me parlent, mais je ne les comprend pas.
Ils tentent de m’aider à me relever, mais déjà je sens que la fin est proche. Il est temps de recevoir ce dont j’avais besoin. La paix de mon âme. Mes yeux se ferment, et j’entr’aperçois un visage. Edouard. Il sourit, à mes côtés. Et Mégane, ma petite fille. Derrière, sur la banquette. Elle s’était détachée pour fouiller dans le coffre. Je me retourne pour la gronder. Je n’ai pas vu le camion, conduit par un chauffeur ivre, qui approche à vive allure. La voiture rentre dedans à pleine vitesse, Mégane vole sur le pare-brise. Mon mari me recouvre de ses bras, et il meure.
Pas moi. J’ai vécu. Et au lieu de profiter de ma chance de miraculée, j’ai passée ma vie à pleurer et à me répéter que ce n’était pas possible. Et à me condamner. Injustement.
J’était partie. J’avais parcouru le monde à la recherche du deuil. Pour essayer d’oublier. Mais surtout, comprendre que je n’y étais pour rien.
Je rouvre les yeux. Je suis à l’hôpital. En face de moi, un médecin s’affaire. Il ne voit pas mon réveil.
Puis je clos les paupières, cette fois définitivement. Mon cœur se sent alors plus léger, je suis en paix avec moi-même. J’ai obtenu le pardon.
Mon cœur cesse de battre, et le peu de vie en moi s’éteint pour toujours.